Poèmes en fleurs

Florilège, des poèmes et des fleurs, de toutes les couleurs

Mignonne, allons voir si la rose…

Mignonne, allons voir si la rose

Qui ce matin avait déclose

Sa robe de pourpre au soleil,

A point perdu cette vesprée

Les plis de sa robe pourprée,

Et son teint au vôtre pareil.

 

Las! voyez comme en peu d'espace,

Mignonne, elle a dessus la place,

Las, las ses beautés laissé choir

O vraiment marâtre Nature,

Puisqu'une telle fleur ne dure

Que du matin jusques au soir !

 

Donc, si vous me croyez, mignonne

Tandis que votre âge fleuronne

En sa plus verte nouveauté,

Cueillez, cueillez votre jeunesse:

Comme à cette fleur, la vieillesse

Fera ternir votre beauté.

 

Odes-    Pierre de Ronsard 1524 - 1585 

Mignonne, allons voir si la rose
Mignonne, allons voir si la rose
Tulipes roses, clochettes bleues et blanches
fleurs roses fin avril

Premier sourire du printemps

Tandis qu'à leurs œuvres perverses

Les hommes courent haletants,

Mars qui rit, malgré les averses,

Prépare en secret le printemps.

 

Pour les petites pâquerettes,

Sournoisement lorsque tout dort,

Il repasse des collerettes

Et cisèle des boutons d'or.

 

Dans le verger et dans la vigne,

Il s'en va, furtif perruquier,

Avec une houppe de cygne,

Poudrer à frimas l'amandier.

 

La nature au lit se repose ;

Lui descend au jardin désert,

Et lace les boutons de rose

Dans leur corset de velours vert.

 

Tout en composant des solfèges,

Qu'aux merles il siffle à mi-voix,

Il sème aux prés les perce-neiges

Et les violettes aux bois.

 

Sur le cresson de la fontaine

Où le cerf boit, l'oreille au guet,

De sa main cachée il égrène

Les grelots d'argent du muguet.

 

Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,

Il met la fraise au teint vermeil,

Et te tresse un chapeau de feuilles

Pour te garantir du soleil.

 

Puis, lorsque sa besogne est faite,

Et que son règne va finir,

Au seuil d'avril tournant la tête,

Il dit : " Printemps, tu peux venir ! "

 

Théophile GAUTIER   (1811-1872)

crocus jaune en fin d'hiver
fleur d'un jaune d'or à Bracquemont

Veillée d’Avril

 Il doit être minuit. Minuit moins cinq. On dort.

Chacun cueille sa fleur au vert jardin des rêves,

Et moi, las de subir mes vieux remords sans trêves,

Je tords mon cœur pour qu’il s’égoutte en rimes d’or.

 

Et voilà qu’à songer me revient un accord,

Un air bête d’antan, et sans bruit tu te lèves

Ô menuet, toujours plus gai, des heures brèves

Où j’étais simple et pur, et doux, croyant encor.

 

Et j’ai posé ma plume. Et je fouille ma vie

D’innocence et d’amour pour jamais défleurie,

Et je reste longtemps, sur ma page accoudé,

 

Perdu dans le pourquoi des choses de la terre,

Écoutant vaguement dans la nuit solitaire

Le roulement impur d’un vieux fiacre attardé.

 

  Jules LAFORGUE (1860-1887) - Premiers poèmes

Chacun cueille sa fleur au vert jardin des rêves
Chacun cueille sa fleur au vert jardin des rêves
fleur bleue et rose

Floraison

Bercées,

Clochettes enneigées,

Les timides fleurettes,

Balancé par le vent fragile muguet,

Secoués tendrement comme des hochets.
      La nature dispose,

      Délicates dragées,

      Ses pétales blanc-rose,

      Bleutés et orangés.
Corole écarquillée sourit une anémone.

Aux anges les prairies, l’air serein carillonne !
Loin des massifs, un liseron, la vigne-vierge,

L’hortensia joufflu s’amuse avec le jasmin,

Déjà le genêt jaunit, joyau dans son jardin,

Rougissent les roses pompon devant les manèges,

Un papillon butine une blanche azalée,

Grimpe le liseron en recouvrant la vigne,

La jonquille en sanglots, cent larmes de rosée,

Son narcisse a séduit un miroir étonné.

Jacinthe au fond des bois surprend une amourette,

Dansent la capucine et la belle-de-nuit.

L’envahissant souci caresse une pensée,  

Le riche bouton d’or dorlote ses racines,

Le pavot se pavane, intéressé, sournois,
Piquent, les orties piquent.

Le chardon sombre blesse.

Tue l’amanite phalloïde.

Fertiles ronceraies, cruelle dionée !

L’enfance fanée.

 

© Dominique Fache 2008



giroflées
bouquet de fleurs
hortensia rose et mauve

La petite vierge

La petite Vierge Marie 

Passe les soirs de mai par la prairie, 

Ses pieds légers frôlant les brumes, 

Ses deux pieds blancs comme deux plumes.

 

S'en va comme une infante, 

Corsage droit, jupes bouffantes, 

Avec, à sa ceinture, un bruit bougeant 

Et clair de chapelet d'argent.

 

Aux deux côtés de la rivière 

Poussent par tas les fleurs trémières, 

Mais la Vierge, de berge en berge, 

Ne cherche que les lys royaux 

Qui s'érigent au bord de l'eau 

Comme flamberges.

 

Et puis saisit entre ses doigts, 

Un peu roides de séculaire empois, 

Un insecte qui dort, ailes émeraudées, 

Au cœur des plantes fécondées.

 

Et de sa douce main, enfin, 

Détache une chèvre qui broute 

A son piquet, au bord des routes, 

Et doucement la baise et la caresse 

Et gentiment la mène en laisse.

 

Alors, la petite Vierge Marie 

S'en vient trouver le vieux tilleul de la prairie, 

Dont les rameaux pareils à des trophées 

Recèlent les mille légendes,

 

Et, humble, adresse enfin ces trois offrandes, 

Sous le grand arbre, aux bonnes fées, 

Qui autrefois, au temps des merveilleuses seigneuries, 

Furent comme elle aussi 

Les bonnes dames de la prairie.

 

Émile VERHAEREN   (1855-1916)

ail décoratif


Consolation à Monsieur Du Périer  sur la mort de sa fille.

Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle,

Et les tristes discours

Que te met en l'esprit l'amitié paternelle

L'augmenteront toujours !

 

Le malheur de ta fille au tombeau descendue

Par un commun trépas,

Est-ce quelque dédale où ta raison perdue

Ne se retrouve pas ?

 

Je sais de quels appas son enfance était pleine,

Et n'ai pas entrepris,

Injurieux ami, de soulager ta peine

Avecque son mépris.

 

Mais elle était du monde, où les plus belles choses

Ont le pire destin,

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,

L'espace d'un matin.

 

Puis quand ainsi serait, que selon ta prière,

Elle aurait obtenu

D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,

Qu'en fut-il advenu ?

 

Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste

Elle eut plus d'accueil ?

Ou qu'elle eut moins senti la poussière funeste

Et les vers du cercueil ?

 

Non, non, mon Du Périer, aussitôt que la Parque

Ôte l'âme du corps,

L'âge s'évanouit au-deçà de la barque ,

Et ne suit point les morts.

 

Tithon n'a plus les ans qui le firent cigale :

Et Pluton aujourd'hui,

Sans égard du passé les mérites égale

D'Archémore et de lui.

 

Ne te lasse donc plus d'inutiles complaintes :

Mais songe à l'avenir,

Aime une ombre comme ombre, et de cendres éteintes,

Éteins le souvenir.

 

C'est bien je le confesse, une juste coutume,

Que le cœur affligé

Par le canal des yeux vidant son amertume

Cherche d'être allégé.

 

Même quand il advient que la tombe sépare

Ce que Nature a joint,

Celui qui ne s'émeut pas à l'âme d'un Barbare,

Ou n'en a du tout point.

 

Mais d'être inconsolable, et dedans sa mémoire

Enfermer un ennui,

N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire

De bien aimer autrui ? 

 

François de Malherbe 1555-1628

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, L'espace d'un matin.
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, L'espace d'un matin.
guirlande printanière
crocus dans un bois

Sonnet à Marie

Je vous envoie un bouquet que ma main

Vient de trier de ces fleurs épanies ;

Qui ne les eût à ce vêpre cueillies,

Chutes à terre elles fussent demain.

 

Cela vous soit un exemple certain

Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries,

En peu de temps cherront toutes flétries,

Et, comme fleurs, périront tout soudain.

 

Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame ;

Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,

Et tôt serons étendus sous la lame ;

 

Et des amours desquelles nous parlons,

Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle.

Pour c'aimez-moi cependant qu'êtes belle.

 

Pierre de Ronsard -  1524-1585

pavot et fleurs variées en bord de route en été

Tristesse d'été

 Le soleil, sur le sable, ô lutteuse endormie,

En l'or de tes cheveux chauffe un bain langoureux

Et, consumant l'encens sur ta joue ennemie,

Il mêle avec les pleurs un breuvage amoureux.

 

De ce blanc flamboiement l'immuable accalmie

T'a fait dire, attristée, ô mes baisers peureux

" Nous ne serons jamais une seule momie

Sous l'antique désert et les palmiers heureux ! "

 

Mais la chevelure est une rivière tiède,

Où noyer sans frissons l'âme qui nous obsède

Et trouver ce Néant que tu ne connais pas.

 

Je goûterai le fard pleuré par tes paupières,

Pour voir s'il sait donner au cœur que tu frappas

L'insensibilité de l'azur et des pierres.

 

Stéphane MALLARME (1842-1898) 

papillon sur un champ de marguerites

Chanson d'automne

Les sanglots longs

Des violons

De l'automne

Blessent mon cœur

D'une langueur

Monotone.

 

Tout suffocant

Et blême, quand

Sonne l'heure,

Je me souviens

Des jours anciens

Et je pleure.

 

Et je m'en vais

Au vent mauvais

Qui m'emporte

Deçà, delà,

Pareil à la Feuille morte.

 

Paul VERLAINE   (1844-1896)

Et je m'en vais Au vent mauvais Pareil à la Feuille morte
Et je m'en vais Au vent mauvais Pareil à la Feuille morte

Invocation

Je voudrais célébrer dans des vers ingénus

Les plantes, leurs amours, leurs penchants inconnus,

L’humble mousse attachée aux voûtes des fontaines,

L’herbe qui d’un tapis couvre les vertes plaines,

Sur ces monts exaltés le cèdre précieux

Qui parfume les airs, et s’approche des cieux

Pour offrir son encens au Dieu de la nature,

Le roseau qui frémit au bord d’une onde pure,

Le tremble au doux parler, dont le feuillage frais

Remplit de bruits légers les antiques forêts,

Et le pin qui, croissant sur des grèves sauvages,

Semble l’écho plaintif des mers et des orages :

L’innocente nature et ses tableaux touchants,

Ainsi qu’à mon amour auront part à mes chants.

  

François-René de Chateaubriand, Tableaux de la nature, 1784-1790

petite rose rouge
fleurs printanières

J'aime l'araignée

J'aime l'araignée et j'aime l'ortie,

Parce qu'on les hait ;

Et que rien n'exauce et que tout châtie

Leur morne souhait ;

 

Parce qu'elles sont maudites, chétives,

Noirs êtres rampants ;

Parce qu'elles sont les tristes captives

De leur guet-apens ;

 

Parce qu'elles sont prises dans leur œuvre ;

Ô sort ! fatals nœuds !

Parce que l'ortie est une couleuvre,

L'araignée un gueux ;

 

Parce qu'elles ont l'ombre des abîmes,

Parce qu'on les fuit,

Parce qu'elles sont toutes deux victimes

De la sombre nuit...

 

Passants, faites grâce à la plante obscure,

Au pauvre animal.

Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,

Oh ! plaignez le mal !

 

Il n'est rien qui n'ait sa mélancolie ;

Tout veut un baiser.

Dans leur fauve horreur, pour peu qu'on oublie

De les écraser,

 

Pour peu qu'on leur jette un œil moins superbe,

Tout bas, loin du jour,

La vilaine bête et la mauvaise herbe

Murmurent : Amour !

 

Victor HUGO   (1802-1885) 

Lamier jaune
baies rouges de houx

A une fleur séchée dans un album

Il m’en souvient, c’était aux plages

Où m’attire un ciel du midi,

Ciel sans souillure et sans orages,

Où j’aspirais sous les feuillages

Les parfums d’un air attiédi.

 

Une mer qu’aucun bord n’arrête

S’étendait bleue à l’horizon ;

L’oranger, cet arbre de fête,

Neigeait par moments sur ma tête ;

Des odeurs montaient du gazon.

 

Tu croissais près d’une colonne

D’un temple écrasé par le temps ;

Tu lui faisais une couronne,

Tu parais son tronc monotone

Avec tes chapiteaux flottants ;

 

Fleur qui décores la ruine

Sans un regard pour t’admirer !

Je cueillis ta blanche étamine,

Et j’emportai sur ma poitrine

Tes parfums pour les respirer.

 

Aujourd’hui, ciel, temple et rivage,

Tout a disparu sans retour :

Ton parfum est dans le nuage,

Et je trouve, en tournant la page,

La trace morte d’un beau jour !

 

Vingt-huitième méditation Alphonse de Lamartine (1790-1869) 

Crépuscule

L'étang mystérieux, suaire aux blanches moires,

Frisonne; au fond du bois la clairière apparaît ;

Les arbres sont profonds et les branches sont noires ;

Avez-vous vu Vénus à travers la forêt ?

 

Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ?

Vous qui passez dans l'ombre, êtes-vous des amants ?

Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines;

L'herbe s'éveille et parle aux sépulcres dormants.

 

Que dit-il, le brin d'herbe ? et que répond la tombe ?

Aimez, vous qui vivez ! on a froid sous les ifs.

Lèvre, cherche la bouche ! aimez-vous ! la nuit tombe;

Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs.

 

Dieu veut qu'on ait aimé. Vivez ! faites envie,

O couples qui passez sous le vert coudrier.

Tout ce que dans la tombe, en sortant de la vie,

On emporta d'amour, on l'emploie à prier.

 

Les mortes d'aujourd'hui furent jadis les belles.

Le ver luisant dans l'ombre erre avec son flambeau.

Le vent fait tressaillir, au milieu des javelles,

Le brin d'herbe, et Dieu fait tressaillir le tombeau.

 

La forme d'un toit noir dessine une chaumière;

On entend dans les prés le pas lourd du faucheur;

L'étoile aux cieux, ainsi qu'une fleur de lumière,

Ouvre et fait rayonner sa splendide fraîcheur.

 

Aimez-vous ! c'est le mois où les fraises sont mûres.

L'ange du soir rêveur, qui flotte dans les vents,

Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures,

Les prières des morts aux baisers des vivants.

 

Victor Hugo, « Crépuscule », Les Contemplations, II (1856)   

herbe de la pampa

Ordre du jour de floréal

Victoire, ami ! je dépêche

En hâte et de grand matin

Une strophe toute fraîche

Pour crier le bulletin.

 

J'embouche sur la montagne

La trompette aux longs éclats ;

Sachez que le printemps gagne

La bataille des lilas.

 

Jeanne met dans sa pantoufle

Son pied qui n'est plus frileux ;

Et voici qu'un vaste souffle

Emplit les abîmes bleus.

 

L'oiseau chante, l'agneau broute ;

Mai, poussant des cris railleurs,

Crible l'hiver en déroute

D'une mitraille de fleurs.

 

Les chansons des rues et des bois (1865). Victor Hugo (1802-1885)

lilas
fleur aux pétales très fins, violets, coeur blanc

La maison du berger

Elle me dit : « Je suis l’impassible théâtre

Que ne peut remuer le pied de ses acteurs ;

Mes marches d’émeraude et mes parvis d’albâtre,

Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs.

Je n’entends ni vos cris ni vos soupirs ; à peine

Je sens passer sur moi la comédie humaine

Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs.

 

Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre,

A côté des fournis les populations ;

Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre,

J’ignore en les portant les noms des nations.

On me dit une mère, et je suis une tombe.

Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe,

Mon printemps ne sent pas vos adorations.

 

Avant vous j’étais belle et toujours parfumée,

J’abandonnais au vent mes cheveux tout entiers,

Je suivais dans les cieux ma route accoutumée,

Sur l’axe harmonieux des divins balanciers.

Après vous, traversant l’espace ou tout s’élance,

 

J’irai seule et sereine, en un chaste silence,

Je fendrai l’air du front et de mes seins altiers.

 

Les destinées. Alfred de Vigny. 1797/1863

fleur rouge au coeur jaune
dahlia orange

Soleil couchant

Les ajoncs éclatants, parure du granit,

Dorent l’âpre sommet que le couchant allume ;

Au loin, brillante encor par sa barre d’écume,

La mer sans fin commence où la terre finit.

 

A mes pieds c’est la nuit, le silence. Le nid

Se tait, l’homme est rentré sous le chaume qui fume.

Seul, l’Angélus du soir, ébranlé dans la brume,

A la vaste rumeur de l’Océan s’unit.

 

Alors, comme du fond d’un abîme, des traînes,

Des landes, des ravins, montent des voix lointaines

De pâtres attardés ramenant le bétail.

 

L’horizon tout entier s’enveloppe dans l’ombre,

Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre,

Ferme les branches d’or de son rouge éventail.

 

José-Maria de Heredia, Les Trophées 1893

buisson aux fleurs jaunes sur la falaiseà Penly
pommiers alignés et allée couverte de pissenlits fleuris

Fanfaronnade

Je n’ai plus ni foi ni croyance !

  Il n’est pas de fruit défendu

 Que ma dent n’ait un peu mordu

Sur le vieil arbre de science :

Je n’ai plus ni foi ni croyance.

 

Mon cœur est vieux ; il a mûri

Dans la pensée et dans l’étude ;

Il n’est pas de vieille habitude

Dont je ne l’aie enfin guéri.

Mon cœur est vieux, il a mûri.

 

Les grands sentiments me font rire ;

Mais, comme c’est très bien porté,

J’en ai quelques uns de côté

Pour les jours où je veux écrire

Des vers de sentiment…pour rire.

 

Quand un ami me saute au cou,

Je porte la main à ma poche ;

Si c’est mon parent le plus proche,

J’ai toujours peur d’un mauvais coup,

Quand ce parent me saute au cou.

 

Veut-on savoir ce que je pense

De l’amour chaste et du devoir ?

Pour le premier…allez-y voir ;

Quant à l’autre, je me dispense

De vous dire ce que je pense

 

C’est moi qui me suis interdit

Toute croyance par système,

Et, voyez, je ne crois pas même

Un seul mot de ce que j’ai dit.

 

Alphonse Daudet, Les Amoureuses, 1858

narcisse orange et blanc
fleur printanière aux pétales oranges

La Courbe de tes yeux

La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,

Un rond de danse et de douceur,

Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,

Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu

C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,

Roseaux du vent, sourires parfumés,

Ailes couvrant le monde de lumière,

Bateaux chargés du ciel et de la mer,

Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d'une couvée d'aurores

Qui gît toujours sur la paille des astres,

Comme le jour dépend de l'innocence

Le monde entier dépend de tes yeux purs

Et tout mon sang coule dans leurs regards.

 

Paul ELUARD, Capitale de la douleur, (1926)

hortensia bleu
hortensia bleu violet

1er janvier

Enfant, on vous dira plus tard que le grand-père 

Vous adorait ; qu'il fit de son mieux sur la terre, 
Qu'il eut fort peu de joie et beaucoup d'envieux, 
Qu'au temps où vous étiez petits il était vieux, 
Qu'il n'avait pas de mots bourrus ni d'airs moroses, 
Et qu'il vous a quittés dans la saison des roses ; 
Qu'il est mort, que c'était un bonhomme clément ; 
Que, dans l'hiver fameux du grand bombardement, 
Il traversait Paris tragique et plein d'épées, 
Pour vous porter des tas de jouets, des poupées, 
Et des pantins faisant mille gestes bouffons ; 
Et vous serez pensifs sous les arbres profonds.

1er janvier 1871  Victor HUGO   (1802-1885)

massif de délicates fleurs rouges
Hortensia rouge
œillets d'Inde roses au cœur rouge

Chant d’automne

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;

 Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !

J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres

Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère,

Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,

Et, comme le soleil dans son enfer polaire,

Mon cœur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.

J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;

L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.

Mon esprit est pareil à la tour qui succombe

Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

Il me semble, bercé par ce choc monotone,

Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.

Pour qui ? – C’était hier l’été ; voici l’automne !

Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

II

J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,

Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer,

Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre,

Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

Et pourtant aimez-moi, tendre cœur ! soyez mère,

Même pour un ingrat, même pour un méchant ;

Amante ou sœur, soyez la douceur éphémère

D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.

Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide !

Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,

Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,

De l’arrière-saison le rayon jaune et doux !

 

Charles Baudelaire, Les fleurs du mal

fleur violet délavé
Le givre en janvier 2017
feuilles de laurier recouvertes de givre

Il pleut, il pleut, bergère,

Il pleut, il pleut, bergère,

Presse tes blancs moutons,

Allons sous ma chaumière,

Bergère, vite, allons.

 

J'entends sur le feuillage

L'eau qui tombe à grand bruit ;

Voici, voici l'orage,

Voici l'éclair qui luit.

 

Bonsoir, bonsoir, ma mère,

Ma sœur Anne, bonsoir !

J'amène ma bergère

Près de nous pour ce soir.

 

Va te sécher, ma mie,

Auprès de nos tisons.

Sœur, fais-lui compagnie ;

Entrez, petits moutons.

 

Soupons: prends cette chaise,

Tu seras près de moi ;

Ce flambeau de mélèze

Brûlera devant toi :

 

Goûte de ce laitage ;

Mais tu ne manges pas ?

Tu te sens de l'orage ;

Il a lassé tes pas.

 

Eh bien, voici ta couche ;

Dors-y jusques au jour ;

Laisse-moi sur ta bouche

Prendre un baiser d'amour.

 

Ne rougis pas, bergère :

Ma mère et moi, demain,

Nous irons chez ton père

Lui demander ta main.

 

Philippe FABRE D'EGLANTINE (1750-1794)

feuilles sous la pluie

Colloque sentimental

Dans le vieux parc solitaire et glacé

Deux formes ont tout à l'heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,

Et l'on entend à peine leurs paroles.

 

Dans le vieux parc solitaire et glacé

Deux spectres ont évoqué le passé.

- Te souvient-il de notre extase ancienne ?

- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ?

 

- Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ?

Toujours vois-tu mon âme en rêve ? 

- Non. Ah ! les beaux jours de bonheur indicible

Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.

 

 - Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !

- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

 

Tels ils marchaient dans les avoines folles,

Et la nuit seule entendit leurs paroles.

 

 Paul VERLAINE   (1844-1896)

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Dans le vieux parc solitaire et glacé
gel en janvier 2017
arbres givrés

Adieux à la poésie

Allons, ange déchu, ferme ton aile rose ;

Ôte ta robe blanche et tes beaux rayons d’or ;

Il faut, du haut des cieux où tendait ton essor,

Filer comme une étoile, et tomber dans la prose.

 

Il faut que sur le sol ton pied d’oiseau se pose.

Marche au lieu de voler : il n’est pas temps encor ;

Renferme dans ton cœur l’harmonieux trésor ;

Que ta harpe un moment se détende et repose.

 

Ô pauvre enfant du ciel, tu chanterais en vain

Ils ne comprendraient pas ton langage divin ;

À tes plus doux accords leur oreille est fermée !

 

Mais, avant de partir, mon bel ange à l’œil bleu,

Va trouver de ma part ma pâle bien-aimée,

Et pose sur son front un long baiser d’adieu !

 

Théophile Gautier, La comédie de la mort (1838)

Fleurs rose délavé de la famille des chrysanthèmes

Mandoline

Les donneurs de sérénades

Et les belles écouteuses

Echangent des propos fades

Sous les ramures chanteuses.

 

C'est Tircis et c'est Aminte,

Et c'est l'éternel Clitandre,

Et c'est Damis qui pour mainte

Cruelle fait maint vers tendre.

 

Leurs courtes vestes de soie,

Leurs longues robes à queues,

Leur élégance, leur joie

Et leurs molles ombres bleues

 

Tourbillonnent dans l'extase

D'une lune rose et grise,

Et la mandoline jase

 Parmi les frissons de brise.

 

Fêtes galantes - Paul VERLAINE (1844-1896)( 

vigne rouge sur ciel bleu et nuages
arbre fleuri en avril
fleurs roses

Enfance

Au jardin des cyprès je filais en rêvant,

Suivant longtemps des yeux les flocons que le vent

Prenait à ma quenouille, ou bien par les allées

Jusqu’au bassin mourant que pleurent les saulaies

Je marchais à pas lents, m’arrêtant aux jasmins,

Me grisant du parfum des lys, tendant les mains

Vers les iris fées gardés par les grenouilles.

Et pour moi les cyprès n’étaient que des quenouilles,

Et mon jardin, un monde où je vivais exprès

Pour y filer un jour les éternels cyprès.

 

Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)


L'échelonnement des haies

L'échelonnement des haies

Moutonne à l'infini, mer

Claire dans le brouillard clair

Qui sent bon les jeunes baies.

 

Des arbres et des moulins

Sont légers sur le vert tendre

Où vient s'ébattre et s'étendre

L'agilité des poulains.

 

Dans ce vague d'un Dimanche

Voici se jouer aussi

De grandes brebis aussi

Douces que leur laine blanche.

 

Tout à l'heure déferlait

L'onde, roulée en volutes,

De cloches comme des flûtes

Dans le ciel comme du lait.

 

Sagesse, III, 1881 - Paul Verlaine 

Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes

Un octogénaire plantait.

Passe encor de bâtir ; mais planter à cet âge !

Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage ;

Assurément il radotait.

Car, au nom des Dieux, je vous prie,

Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ?

Autant qu'un Patriarche il vous faudrait vieillir.

A quoi bon charger votre vie

Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous ?

Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées :

Quittez le long espoir et les vastes pensées ;

Tout cela ne convient qu'à nous.

- Il ne convient pas à vous-mêmes,

Repartit le Vieillard. Tout établissement

Vient tard et dure peu. La main des Parques blêmes

De vos jours et des miens se joue également.

Nos termes sont pareils par leur courte durée.

Qui de nous des clartés de la voûte azurée

Doit jouir le dernier ? Est-il aucun moment

Qui vous puisse assurer d'un second seulement ?

Mes arrière-neveux me devront cet ombrage :

Eh bien défendez-vous au Sage

De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ?

Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui :

J'en puis jouir demain, et quelques jours encore ;

Je puis enfin compter l'Aurore

Plus d'une fois sur vos tombeaux.

Le Vieillard eut raison ; l'un des trois jouvenceaux

Se noya dès le port allant à l'Amérique ;

L'autre, afin de monter aux grandes dignités,

Dans les emplois de Mars servant la République,

Par un coup imprévu vit ses jours emportés.

Le troisième tomba d'un arbre

Que lui-même il voulut enter ;

Et pleurés du Vieillard, il grava sur leur marbre

Ce que je viens de raconter.

 

Les Fables -  Jean de la Fontaine - 1621 - 1695

Tronc à tête de monstre

Hymne de l'automne

Euterpe, muse de la poésie lyrique, s'adresse au poète.

« Tu seras du vulgaire appelé frénétique, 

Insensé, furieux, farouche, fantastique, 

Maussade, malplaisant, car le peuple médit 

De celui qui de mœurs aux siennes contredit. 

Mais courage, Ronsard ! les plus doctes poètes, 

Les Sibylles, Devins, Augures et Prophètes, 

Hués, sifflés, moqués des peuples ont été, 

Et toutefois, Ronsard, ils disaient vérité. 

N'espère d'amasser de grands biens en ce monde : 

Une forêt, un pré, une montagne, une onde 

Sera ton héritage, et seras plus heureux 

Que ceux qui vont cachant tant de trésors chez eux. 

Tu n'auras point de peur qu'un Roi, de sa tempête, 

Te vienne en moins d'un jour escarbouiller la tête 

Ou confisquer tes biens, mais, tout paisible et coi, 

Tu vivras dans les bois pour la Muse et pour toi. » 

Ainsi disait la nymphe, et de là je vins être 

Disciple de Dorat, qui longtemps fut mon maître ; 

M'apprit la poésie, et me montra comment 

On doit feindre et cacher les fables proprement, 

Et à bien déguiser la vérité des choses 

D'un fabuleux manteau dont elles sont encloses. 

J'appris en son école à immortaliser 

Les hommes que je veux célébrer et priser, 

Leur donnant de mes biens, ainsi que je te donne 

Pour présent immortel l'Hymne de cet automne. 

 

Hymne de l'automne, extrait, Hymnes, RONSARD 1555

Quand vous serez bien vieille…

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,

Assise auprès du feu, dévidant et filant,

Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :

« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle ! »

 

Lors vous n’aurez servante oyant  telle nouvelle,

Déjà sous le labeur à demi sommeillant,

Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant,

Bénissant votre nom de louange immortelle.

 

Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,

Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :

Vous serez au foyer une vieille accroupie,

 

Regrettant mon amour et votre fier dédain.

Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :

Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie

 

Sonnets pour Hélène, II, 43,   1578 - Pierre de Ronsard


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 Travail de fond sur l'écriture poétique, de l'élaboration à l'interprétation