Promenade poétique

Poèmes lyriques

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,

Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,

Et puis est retourné, plein d'usage et raison,

Vivre entre ses parents le reste de son âge !

 

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village

Fumer la cheminée, et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,

Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?

 

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,

Que des palais Romains le front audacieux,

Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

 

Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,

Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,

Et plus que l'air marin la douceur angevine.

 

Joachim DU BELLAY   (1522-1560)


Spleen

Tout m'ennuie aujourd'hui. J'écarte mon rideau,

En haut ciel gris rayé d'une éternelle pluie,

En bas la rue où dans une brume de suie

Des ombres vont, glissant parmi les flaques d'eau.

 

Je regarde sans voir fouillant mon vieux cerveau,

Et machinalement sur la vitre ternie

Je fais du bout du doigt de la calligraphie.

Bah ! sortons, je verrai peut-être du nouveau.

 

Pas de livres parus. Passants bêtes. Personne.

Des fiacres, de la boue, et l'averse toujours...

Puis le soir et le gaz et je rentre à pas lourds...

 

Je mange, et bâille, et lis, rien ne me passionne...

Bah ! Couchons-nous. - Minuit. Une heure. Ah ! chacun dort !

Seul, je ne puis dormir et je m'ennuie encor.

 

Jules Laforgue  (1860-1887)

En haut ciel gris rayé d'une éternelle pluie
En haut ciel gris rayé d'une éternelle pluie

Clair de lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.

Fêtes galantes-  Paul Verlaine 1844-1895

Au calme clair de lune triste et beau, Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Au calme clair de lune triste et beau, Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres

Brise marine

La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres.

Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres

D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !

 

Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux

Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe

Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe

Sur le vide papier que la blancheur défend

Et ni la jeune femme allaitant son enfant.

 

Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,

Lève l'ancre pour une exotique nature !

Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,

Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs !

 

Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,

Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages

Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots ...

Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !

 

Stéphane MALLARME (1842-1898)  

... rien, ni les vieux jardins...
... rien, ni les vieux jardins...

Las, où est maintenant ce mépris de Fortune

Las, où est maintenant ce mépris de Fortune ?

Où est ce cœur vainqueur de toute adversité,

Cet honnête désir de l’immortalité,

Et cette honnête flamme au peuple non commune ?

 

Où sont ces doux plaisirs qu’au soir sous la nuit brune

Les Muses me donnaient, alors qu’en liberté

Dessus le vert tapis d’un rivage écarté

Je les menais danser aux rayons de la Lune ?

 

Maintenant la Fortune est maîtresse de moi,

Et mon cœur, qui soulait être maître de soi,

Est serf de mille maux et regrets qui m’ennuient.

 

De la postérité je n’ai plus de souci,

Cette divine ardeur, je ne l’ai plus aussi,

Et les Muses de moi, comme étranges, s’enfuient.

 

Joachim Du Bellay, Les Regrets (1558)

Où sont ces doux plaisirs qu’au soir sous la nuit brune  Les Muses me donnaient ?
Où sont ces doux plaisirs qu’au soir sous la nuit brune Les Muses me donnaient ?

Siffle avec les oiseaux

Sonnerie

Le réveil

D’un seul doigt les néons, les vingt-et-un degrés, vite,

Un café déjà chaud, la main câline l’eau,

L’horizon sur écran, que dit la météo

Une embellie,

Bientôt.

 

Des inventions magiques,

Des connexions magiques,

Je vends même le vent, des arguments magiques,

Et j’achète le temps, petits robots magiques.

 

Ah ! la baguette magique !

La solution magique aux tentations magiques,

Des illusions magiques,

Les pilules magiques,

Vite, un bonheur magique…

Mené à la baguette !

 

Tu t’éveilles,

Colorie la journée,

Petits pas, grand bol d’air,

Invite la framboise, caresse la rosée,

Écoute les échos, regarde l’horizon, siffle avec les oiseaux.

Toi, tu verras s’il fait beau.

 

© Dominique Marcel Fache 2008

 

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J’analyse le poème, mot à mot, dans mon manuel « Un poète vous explique comment il utilise les procédés littéraires »     

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siffle avec les oiseaux
siffle avec les oiseaux

Tableaux parisiens. A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,

Une femme passa, d'une main fastueuse

Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

 

Agile et noble, avec sa jambe de statue.

Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,

Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan,

La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

 

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté

Dont le regard m'a fait soudainement renaître,

Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

 

Ailleurs, bien loin d’ici ! Trop tard ! Jamais peut-être !

Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

 

Les Fleurs du Mal -   Charles BAUDELAIRE (1821-1897)

Un éclair... puis la nuit !
Un éclair... puis la nuit !

Caresse fanée

Je caressais tes joues, mon bébé, mon enfant,

Tes doigts se promenaient, sur ma main, tendrement,

Les jours se promenaient, tes doigts figeaient le temps,

Mais le temps caressait son dessein grimaçant

Et ma main se plissait, se fanait doucement.

Tes dix-sept ans !

Je pensais… c’était juste un petit cadeau.

Doigts furtifs.

 

Une larme, amère, me caresse la main,

Une main chiffonnée qui caressait l’espoir

D’indiquer le chemin,

Une larme, amère, me caresse la joue,

Une joue trop ridée qui cache ses gerçures,

Ses blessures, ses cassures.

Je caressais tes joues, mon bébé, mon enfant,

Mes joues s’enlaidissaient,

Laissant glisser le temps,

Et tes doigts s’éloignaient de ma main,

Doucement.

 

© Dominique Marcel Fache 2008

 

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 qui caressait l’espoir  D’indiquer le chemin
qui caressait l’espoir D’indiquer le chemin

Romances sans paroles

Il pleure dans mon cœur

Comme il pleut sur la ville ;

Quelle est cette langueur

Qui pénètre mon cœur ?

 

Ô bruit doux de la pluie

Par terre et sur les toits !

Pour un cœur qui s'ennuie,

Ô le chant de la pluie !

 

Il pleure sans raison

Dans ce cœur qui s'écœure.

Quoi ! nulle trahison ?...

Ce deuil est sans raison.

 

C'est bien la pire peine

De ne savoir pourquoi

Sans amour et sans haine

Mon cœur a tant de peine !

 

Paul Verlaine - 1844-1896

Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville
Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville

Les Conquérants

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal, 

Fatigués de porter leurs misères hautaines, 

De Palos de Moguer, routiers et capitaines 

Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal. 

 

Ils allaient conquérir le fabuleux métal 

Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines, 

Et les vents alizés inclinaient leurs antennes 

Aux bords mystérieux du monde Occidental. 

 

Chaque soir, espérant des lendemains épiques, 

L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques 

Enchantait leur sommeil d'un mirage doré ; 

 

Ou penchés à l'avant des blanches caravelles, 

Ils regardaient monter en un ciel ignoré 

Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles. 

 

José-Maria de HEREDIA, Les Trophées (1893)

Chaque soir, espérant des lendemains épiques
Chaque soir, espérant des lendemains épiques


À Philis

Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,

Et la mer est amère, et l'amour est amer,

L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,

Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.

 

Celui qui craint les eaux, qu'il demeure au rivage,

Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,

Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,

Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

 

La mère de l'amour eut la mer pour berceau,

Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau

Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

 

Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,

Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,

Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.

 

A Philis (extrait)      Pierre de Marbeuf  (1596-1645)

Celui qui craint les eaux, qu'il demeure au rivage
Celui qui craint les eaux, qu'il demeure au rivage

Odelette à l'Arondelle

Tay toy, babillarde Arondelle,

Ou bien, je plumeray ton aile

Si je t'empongne, ou d'un couteau

 

Je te couperay la languette,

Qui matin sans repos caquette

Et m'estourdit tout le cerveau.

 

Je te preste ma cheminée,

Pour chanter toute la journée,

De soir, de nuict, quand tu voudras.

 

Mais au matin ne me reveille,

Et ne m'oste quand je sommeille

Ma Cassandre d'entre mes bras.

 

Pierre de RONSARD   (1524-1585)

Tay toy, babillarde
Tay toy, babillarde

Je t’aime

Je t’aime pour toutes les femmes que je n’ai pas connues

Je t’aime pour tous les temps où je n’ai pas vécu

Pour l’odeur du grand large et l’odeur du pain chaud

Pour la neige qui fond pour les premières fleurs

Pour les animaux purs que l’homme n’effraie pas

Je t’aime pour aimer

Je t’aime pour toutes les femmes que je n’aime pas

Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu

Sans toi je ne vois rien qu’une étendue déserte

Entre autrefois et aujourd’hui

Il y a eu toutes ces morts que j’ai franchies sur de la paille

Je n’ai pas pu percer le mur de mon miroir

Il m’a fallu apprendre mot par mot la vie

Comme on oublie

Je t’aime pour ta sagesse qui n’est pas la mienne

Pour la santé

Je t’aime contre tout ce qui n’est qu’illusion

Pour ce cœur immortel que je ne détiens pas

Tu crois être le doute et tu n’es que raison

Tu es le grand soleil qui me monte à la tête

Quand je suis sûr de moi.

 

Le Phénix  -  Paul Éluard (1895-1952)

Tu es le grand soleil qui me monte à la tête
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête

Le Navire

Je fus, Plante superbe, en Vaisseau transformée.

Si je crûs sur un Mont, je cours dessus les eaux :

Et porte de soldats une nombreuse armée,

Après avoir logé des Escadrons d'oiseaux.

 

En rames, mes rameaux se trouvent convertis;

Et mes feuillages verts, en orgueilleuses voiles :

J'ornai jadis Cybèle, et j'honore Thétis.

Portant toujours le front jusqu'auprès des Étoiles.

  

Mais l'aveugle Fortune a de bizarres lois :

Je suis comme un jouet en ses volages doigts,

Et les quatre Éléments me font toujours la guerre.

 

Souvent l'Air orageux traverse mon dessein,

L'Onde s'enfle à tous coups pour me crever le sein.

Je dois craindre le Feu, mais beaucoup plus la Terre.

 

 

Tristan L'Hermite, La Lyre - 1641


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